Ode au puma qui éventra le fleuve

dessin, encre, 1987
(en illustration d'un poème de Nicolas Blondeau)

 

ODE AU PUMA QUI EVENTRA LE FLEUVE

I. Le corps d'un oiseau mort, un pigeon malade de la peste
Le soleil que tu appelles sur ta langue
Tout se gorge de sang, le désir si proche du meurtre
Peaux séchées, brû1ures et tremblements
Tu fraternises au plus bas de ta race

En perte d'haleine, tu dévales les pentes
Tu retournes les pierres, partout la vie remue
Tu entres dans 1!eau froide comme dans une fiancée
morte et le vent ouvre la marche de ta quête abrasive

II. Dans les ornières séchées se forment des bras
et des bassins - La magie danse sur le dos des murs  - Appliquant
ton front à l'inorganique
Tu dors dans le silence de la distance sacrée
Tes os blanchis reposent dans une chasse de vieil or
et de pierres aux éclats usés - La chair est une flamme
froide


III, Les aubes qui baignent son corps
Les aubes qui baignent son corps parmi les volcans neufs
Les ammonites et les rostres sur sa peau
                                    qu'il regarde pousser sur sa peau
Il essaye de manger de 1a terre     sans y parvenir
                                                     il n'y parvient pas
Des voiles déchirent ses yeux, un frisson expulse sa colonne
Il n'ose un pas au milieu de cette géographie molle
Carcasses de chevaux de combat remplies de marne
Le sang et l'argile qui se façonnent en de terrifiantes 
postures


IV. Un cri enfle et se déchire
     salissant - un cri de dépouille
      dont 1e cœur se contraste encore quelques instants
après la mort - après l'accident
Un cri que l'on portera sur le visage
La place demain sera vide et propre


V. C'est un ténia qui fait s'agiter le comédien
Dans la fureur, l'acier ne tremble pas, ou si vite
Les animaux qui traversent la lande ont tous quelque chose
d'infirme

VI. Le cou avait cet éclat de nacre ou d'ivoire
Mes doigts jouaient avec le tracé de ses veines
Le félin est un arc
                    un rire encore tendu
L'air est empli de montagnes de fourrures en flamme
Sur Ia couche parmi le sable et 1e gravier
La chair est le fourreau du meurtre
Son parfum m'étrangle - étrangle ta parole
Tel un gouffre d'émotions
L'enfer dépossédé du feu


VII. Nous ne pouvons éviter le carrefour qui alterne à nos flans
Le rasoir qui alimentait votre hystérie s'est transformé
en coupe-ongles de 1'histoire
Dehors, les anges s'activent à enlever les corps, d'autres avec
Des balais nettoient la scène pour  l'acte suivant
Les enfants sont emmenés à la piscine
Les mollets des jeunes filles rebondissent sur cette réalité
Stridente

VIII. Je veux encore te poser des questions
Chaque pied tordu c'est un ange qui s'envole
Laisse moi baiser le coma

Pour la science nous sommes des êtres finis
Mais je flaire dans mes os la rigueur du puma
Reste avec moi, je t'offrirai une part du jour
Nous lècherons leurs carcasses dans les hautes herbes


IX. La lessive des monstres
Laissons le temps à la peau d'émerger
Derrière les stores, quelqu'un regarde, 1e souffle retenu
Et le rire tombe des toits pour rebondir sur la poitrine
Des femmes

Le rapt calculé qui fait miroité l'abstraction
A l'avant du navire guerrier, se tient toujours
Un capitaine en costume impeccable dans la position
Du salut - Son port de tête est noble
Dans les calles, on prépare les torpilles
L'ensemble est un monstre d'acier qui avance


X. Le vent n'est pas même un fantôme de femme
Et la pluie est trop pure
( En quoi les objets, la pièce et les meubles que tu aperçois
à ton réveil, en quoi peuvent ils te sembler aussi haïssables
que tu doives à chaque fois les lacérer en pensée? Comme tu
serais heureux de te retrouver ce matin dans une chambre inconnue.
Pire encore sont les mots qui flottent immobiles sur le
dos et dont la consistance rappelle celle du pain abreuvé par
1'eau froide )


XI. Veux-tu savoir ce que je pense de toi?
Est-ce qu'ensemble, on a pas assez traîné?
Tu crois que je ne peux pas détourner tes yeux du soleil?
Il me semble que la haine me fait à nouveau désirer ta présence
11 semblerait que la haine me pousse à nouveau à te voir
Chaque coup que je donne, c'est un que je reçois
Chaque pas, c'est une marche qui manque
Mais maintenant le vent peut souffler
Là où lui-même ne s'attend pas
J'ai dans la main des cartes avec lesquelles
Tricher est impossible
On ne joue pas avec des cartes bleu cobalt

Sol & soleil !
Ciel & sol
Soleil & ciel

- Est-ce que les œufs sont cuits?
- Prêt!
- Prêt!
- C'est prêt!

- I1 en va de toi comme des autres
Personne ne me fera lâcher cette pomme


XII.            Les cubes     exproprient   1es     grands     cubes
                   les arbres     exproprient    les     grands     cubes
                                                            comme     de     grands     arbres
                                                            comme     de     grands     cubes
                        pareil     à       comme     tel     que
                        pareil     à       comme
                                               comme      tel     que
                    les     luges     n'enfoncent     pas     dans     la     lune
                    même     les     grandes     luges     n'enfoncent     pas

                    et idem pour
                    (et idem à )                   


End of movie
XIII. Il fit décapiter ses hommes à têtes de chiens
Et s'enroula dans un palais aux entrelacs baroques
L'or et la pourpre de Carthage vinrent couvrir
Les grandes salles dallées trop froides à ses pieds nus
Elle arriva dans le concert des immenses amplitudes
Des tiraillements et des espaces sensationnels
Il l'épousa avec la foudre et le sel pulvérisé
Leur union fut sans fruit - il passait sa journée à la chasse
Il n'allait pas aux fêtes qu'elle donnait
L'année suivante, la pauvre mariée flottait dans ses voiles
Il effeuilla la rose, et le dernier pétale tombé
Elle avait disparu

Nicolas Blondeau, 1987

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